Quand le monde s'est fait nombre by Olivier Rey

Quand le monde s'est fait nombre by Olivier Rey

Auteur:Olivier Rey [Rey, Olivier]
La langue: fra
Format: epub
Éditeur: Stock
Publié: 0101-01-01T00:00:00+00:00


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Au XIXe siècle les théoriciens du libéralisme comme, à l’opposé, les penseurs du socialisme, ne prisaient guère la statistique. Les uns comme les autres s’en remettaient d’abord à des principes, en regard desquels la statistique apparaissait comme suspecte : enregistrement de réalités factuelles inessentielles car partielles et transitoires, sans pouvoir explicatif, venant faire diversion au travail de la pensée comme à l’action concrète. C’étaient les réformistes qui, parce qu’ils considéraient à la fois le statu quo comme intenable et la révolution comme une catastrophe, se trouvaient portés vers la statistique, en laquelle ils voyaient l’instrument indispensable à une politique progressiste avisée. Pour Adolphe Quetelet, grande figure de la statistique dont il sera question au prochain chapitre, c’étaient les tensions trop longtemps accumulées au sein des sociétés qui produisaient les convulsions révolutionnaires. Selon lui, « la mesure de l’état de civilisation où une nation est parvenue, se trouve dans la manière dont elle fait ses révolutions56 » : ou bien de façon brutale, avec tous les dégâts afférents, comme cela se produisait en France, ou bien de façon plus continue et policée, comme en Angleterre où un gouvernement avisé et attentif aux réalités sociales savait prendre à temps les mesures qui s’imposaient, et éviter les trop grandes accumulations de forces qui se débondaient en accès de violence. À cette fin, l’auscultation permanente de la société par la statistique lui paraissait une mesure indispensable. Dans les termes d’un autre statisticien du temps, Xavier Heuschling : « Quoi qu’on fasse, au reste, c’est sur la statistique, sur la connaissance raisonnée des faits sociaux, que s’appuieront désormais les révolutions pacifiques qui auront pour but d’améliorer la condition des peuples ; cette voie est la seule bonne, la seule qui puisse conduire à des résultats satisfaisants et durables57. »

Parmi les griefs que les révolutionnaires nourrissaient à l’encontre de la statistique, figurait précisément ce que les statisticiens se flattaient de permettre : la mise au jour de lois irréfragables de la vie sociale, que toute politique sensée se devait de prendre en compte, et un désamorçage des tensions, un évitement des spasmes de la société grâce à un suivi permanent de ses évolutions. À ceux qui appelaient de leurs vœux un bouleversement complet de l’ordre existant, la statistique apparaissait comme une tentative de naturalisation de cet ordre, et un instrument de gestion et de conservation de la société bourgeoise. À la fin du XIXe siècle, le philanthrope Charles Booth entreprit une grande enquête sur la pauvreté à Londres (Life and Labour of the People in London ; les deux volumes de la première édition furent publiés en 1889, les dix-sept volumes de la troisième édition en 1902-1903). Les réformes qu’il préconisait au terme de cette enquête étaient inspirées par sa sympathie pour la classe ouvrière, mais lui semblaient également nécessaires pour éviter une révolution socialiste.



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